La décision de Donald Trump de geler l’aide américaine au développement pendant trois mois a provoqué une onde de choc sur le continent africain. Face à cette annonce brutale, l’économiste togolais Kako Nubukpo, ancien ministre et fervent défenseur de la souveraineté économique africaine, appelle à une prise de conscience des dirigeants du continent. Selon lui, l’Afrique doit sortir du cycle de la dépendance et repenser en profondeur son modèle de développement.
Plus de 20 milliards de dollars destinés à l’Afrique ne seront pas débloqués en 2025, mettant en péril des programmes financés par USAID dans des secteurs clés comme l’éducation et la santé.
Un électrochoc pour l’Afrique
« Cette annonce doit être un électrochoc pour les dirigeants africains », martèle Kako Nubukpo. Il rappelle que de nombreux secteurs vitaux en Afrique dépendent encore largement de l’aide extérieure, en particulier depuis les programmes d’ajustement structurel imposés par le FMI et la Banque mondiale dans les années 1980.
Les conséquences de cette décision sont immédiates. On déplore la perte de milliers d’emplois, notamment dans les ONG financées par l’USAID. Il y aura un impact direct sur les secteurs de la santé et de l’éducation, dont une partie des investissements repose sur l’aide étrangère. Sans oublier une pression budgétaire accrue sur les États africains, contraints de trouver des solutions alternatives.
Cependant, pour Nubukpo, cette dépendance à l’aide extérieure traduit surtout un problème structurel : « Nous nous sommes complus dans un narratif occidental qui consiste à dire que l’Afrique reçoit de l’aide, alors qu’en réalité, elle est un contributeur net à l’économie mondiale. »
Un continent riche qui finance le reste du monde
Loin de l’image d’un continent sous perfusion, l’économiste rappelle que l’Afrique exporte chaque année près de 600 milliards de dollars de richesses naturelles et génère 90 milliards de dollars de flux financiers illicites qui quittent le continent vers des paradis fiscaux ou des multinationales étrangères.
Se livrant à une comparaison frappante, l’économiste togolais relève que le montant de l’aide américaine à l’Afrique est de 20 milliards de dollars alors que la fuite annuelle de capitaux africains dépasse la barre de 90 milliards de dollars.
« L’Afrique perd bien plus qu’elle ne reçoit », insiste Kako Nubukpo. Selon lui, l’enjeu n’est donc pas de pleurer la suspension de l’aide américaine, mais bien de reprendre le contrôle de ses ressources et d’investir massivement dans des politiques économiques autonomes et durables.
Sortir de la dépendance : quelles solutions pour l’Afrique ?
Face à cette situation, l’ancien ministre togolais plaide pour une refonte des modèles économiques africains. Il articule cette refonte autour de plusieurs axes. D’abord, Kako Nubukpo propose de développer une fiscalité efficace. En effet, la faiblesse des systèmes fiscaux empêche les États africains de financer leurs politiques publiques. Selon la Banque mondiale, seulement 16% du PIB est collecté en impôts en Afrique, contre 34% en moyenne dans les pays de l’OCDE.
Ensuite, l’économiste demande de mettre fin à l’évasion fiscale. Pour lui, les multinationales opérant sur le continent bénéficient encore de régimes fiscaux avantageux, privant les États de revenus cruciaux pour le développement. Par ailleurs, il propose d’investir dans l’industrialisation. L’Afrique reste trop dépendante des exportations de matières premières, sans transformation locale. « Nous devons produire ce que nous consommons et consommer ce que nous produisons », défend Nubukpo.
Enfin, l’ancien ministre togolais appelle à repenser la gestion de la dette. En effet, avec un service de la dette qui absorbe 54% des recettes fiscales, de nombreux pays africains sont dans une situation de quasi-asphyxie budgétaire. L’économiste plaide pour une annulation de la dette, qui permettrait aux États de financer des politiques volontaristes.
L’Occident se retire, les BRICS avancent
La décision de Donald Trump illustre aussi, selon Kako Nubukpo, le recul progressif de l’influence occidentale en Afrique. Ce, alors qu’une nouvelle dynamique géopolitique se met en place. Les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) montent en puissance sur le continent. La Chine est désormais le premier créancier de nombreux pays africains. Et la Russie renforce son influence militaire et diplomatique, notamment au Sahel
« En suspendant leur aide, les Américains laissent un vide que d’autres puissances vont s’empresser de combler », analyse Nubukpo.
Cette transition pourrait offrir aux États africains une marge de manœuvre inédite pour négocier des partenariats plus équilibrés, à condition qu’ils sachent défendre leurs intérêts avec fermeté.
Vers un nouveau paradigme africain
L’annonce américaine doit être perçue comme une opportunité pour l’Afrique de s’émanciper de la logique d’assistanat et de bâtir une souveraineté économique réelle. Ainsi les trois priorités pour l’Afrique selon Nubukpo devraient être la prise en main de son développement, en cessant d’attendre des solutions de l’extérieur ; la valorisation des ressources et la fin à l’évasion des capitaux. Enfin, il préconise de multiplier les partenariats stratégiques avec des acteurs qui respectent les intérêts africains
« L’aide n’est pas une fatalité. Elle doit être une option, et non une nécessité », conclut l’économiste togolais. « L’Afrique doit cesser d’être spectatrice de son propre développement et en devenir pleinement actrice. »